17 novembre 2015

Réparer les vivants

MAYLIS de KERANGAL, "Réparer les vivants", Paris: Gallimard, 2015



Chère Maylis de Kerangal,

Après avoir parlé de votre ouvrage « Réparer les vivants » avec un ami, ce-dernier m’a révélé avoir entendu dire que vous basiez votre roman sur une histoire vécue. Je ne sais pas si c’est réellement le cas ou si je me suis laissé abuser mais, vu qu’il s’agit d’une histoire de transplantation cardiaque, cette information m’a beaucoup touchée. Dès lors, je vous écris afin de vous proposer une aide qui pourrait s’avérer précieuse au cas où vous croiseriez à nouveau la route d’une personne ayant besoin de ce type d’opération : je vous propose mon cœur (et vous laisse le soin de le confier à qui de droit). Je n’en ai plus besoin.

Je sais, ça peut paraître étrange comme démarche mais, soyons logiques, si personne ne se propose, les demandeurs de cœur risquent de devoir attendre longtemps. Le mien pourrait donc être utile à quelqu’un. Je me dois juste de vous rappeler qu’il s’agit d’un cœur d’occasion.
Vous constaterez sans doute qu’il y a plusieurs petites cicatrices au niveau du ventricule droit. Je vous rassure tout de suite, vous ne devez pas craindre une quelconque défaillance à ce niveau. Il s’agit de vieilles blessures cicatrisées depuis longtemps qui ne vous poseront aucun souci.
Le coup au niveau de la valvule pulmonaire gauche vous impressionnera peut-être davantage. Je peux comprendre mais, une fois encore, les risques de défaillance sont négligeables à ce niveau. Ce n’est là que la trace d’un vieux traumatisme oublié qui ne posera pas de problème à l’heureux acquéreur de mon organe cardiaque.
De-ci, de là, vous aurez encore l’occasion de découvrir quelques griffes plus récentes mais dont vous ne devriez pas faire grand cas.

En revanche, je pourrais comprendre que vous vous inquiétiez de la récente blessure béante qui semble fendre le cœur en plein centre. L’honnêteté me pousse à vous avouer que, en effet, ce petit souci risque d’être légèrement plus embarrassant que les autres, même si j’ai vraiment essayé de bidouiller une réparation de fortune. A mon humble avis, tout ce joli bordel devrait tenir et ne devrait pas être fatal pour la personne qui profitera de mon cœur. Enfin… je crois… Après, bon, je vous ai prévenu qu’il s’agissait d’un organe de seconde main. Je ne peux rien garantir. De plus, si vous avez dans votre entourage un ami bricoleur, je suis certain qu’il doit y avoir moyen de souder, colmater ou coller un gros morceau de scotch sur le bazar afin de vivre tranquille.

Bref ! Vous disposez donc d’un cœur presque neuf – enfin, qui était neuf, à une époque – afin de faire plaisir à quelqu’un en lui évitant une mort prématurée. Je me permets juste une ultime recommandation : assurez-vous bien que la personne concernée émette l’envie de posséder un cœur ! Non, je sais, ça paraît con. Mais le fait est que, pour réparer les vivants, je me demande si, parfois, il ne serait pas plus intéressant de leur permettre de se débarrasser de leur cœur, comme j’essaye de le faire.

Cordialement (si je puis dire),


Oscar Diaque (de Sacré-Cœur, Québec)

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